Coronavirus : « Nous devons adopter d’urgence une autre relation à la biodiversité »
Pour Philippe Grancolas, directeur de recherche au CNRS et directeur de laboratoire au Museum national d’histoire naturelle à Paris, le Coronavirus est né des mauvais traitements que nous infligeons, depuis des décennies, à notre environnement naturel. Dans une interview accordée à un grand magazine, cet écologue établit un lien de cause à effet entre les bouleversements de l’environnement et l’émergence de pandémies comme celle du Covid-19, zoonose transmise par les animaux. Selon lui, cette crise est le moment ou jamais de penser notre façon d’habiter le monde.
Quelques pistes de réflexion et de reconversion.
60% des maladies infectieuses touchant les humains sont des zoonoses (issues des animaux) ; elles proviennent de deux virus propres à deux espèces animales particulières qui se seraient « recombinés » (un mécanisme génétique naturel) pour former un nouveau virus capable de pénétrer dans les cellules humaines. Il en va ainsi des Covid, d’Ebola, mais aussi du SIDA (les humains ont été contaminés par contact de primates sauvages porteurs du VIH), etc.
Certes, l’espèce humaine est victime de maladies depuis ses origines, comme tous les êtres vivants. Mais les zoonoses, comme la rougeole, les oreillons, la variole ou les grippes, ont été favorisées par la domestication animale, il y a des milliers d’années ; les rats et les puces qui vivent depuis longtemps près de nous, nous ont transmis la peste.
Les zoonoses ne sont donc pas nouvelles, mais de plus en plus nombreuses : une dizaine avant 1940, une centaine aujourd’hui.
La principale raison de cette explosion, est selon le professeur Grandcolas, la déforestation dans les tropiques : 100 millions d’hectares de forêts disparus entre 1980 et 2000 pour le bétail et la culture du soja, canne à sucre, palmiers à huile etc. Destruction des habitats naturels et de la biodiversité, trafic d’espèces sauvages, intensification des élevages et mondialisation sont les ingrédients d’un cocktail détonant, véritable « réacteur à maladies ».
Ce processus peut aussi avoir lieu dans nos pays tempérés, c’est le cas notamment pour la maladie de Lyme qui subsiste à cause d’une mauvaise gestion de la nature : l’agent infectieux de cette maladie est une bactérie transmise par une tique à partir de réservoirs de rongeurs et cervidés. Ces derniers pullulent faute de prédateurs, par exemple le renard, lui-même tué car considéré comme nuisible…
La solution ne réside certes pas dans l’éradication d’espèces considérées comme potentiellement dangereuses pour l’homme, ce qui entraînerait un déséquilibre écologique encore plus dangereux ; il faut au contraire rechercher l’équilibre en favorisant au maximum la biodiversité et pour cela cesser de grignoter les milieux naturels, de créer des circuits alimentaires farfelus, d’importer des espèces exotiques, de nourrir les animaux d’élevage n’importe comment (donner certaines farines animales à des bovins a créé la vache folle) et de favoriser au maximum les circuits courts, etc. Tout le monde y gagnerait, y compris les agriculteurs…
La crise actuelle est un avertissement et peut donc être salutaire ; elle agit comme un révélateur de la crise environnementale qui a atteint un point de bascule. Les incendies monstres en Australie, qui ont détruit 10 millions d’hectares de forêts tropicales humides cet hiver comme si c’était des savanes arides, ont montré l’ampleur de la crise climatique. Le Covid-19 révèle une autre facette, liée cette fois à notre mauvais comportement vis-à-vis de la biodiversité. On se rend compte que les conséquences sont dramatiques, que personne n’est à l’abri. Il est urgent d’adopter une autre relation à la biodiversité. Comprendre que nous jouons avec nos vies, que nous nous mettons doublement en danger en la maltraitant : nous « créons » des maladies émergentes et détruisons les équilibres naturels dont nous bénéficions.
Et le professeur Grandcolas de conclure : « « J’alerte en tant que scientifique, je n’ai pas le droit de me taire. J’espère qu’au-delà des drames humains actuels, le Covid-19 provoquera cette prise de conscience ».
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