Novembre 2016

EDITORIAL : Martin et le manteau partagé ou la part donnable

C’est l’un des thèmes les plus populaires de l’art chrétien : saint Martin monté à cheval et revêtu de son armure, coupe en deux sa capote de soldat et en donne une moitié au mendiant qui grelotte, aux portes d’Amiens, un soir glacé de l’hiver 337.

La vie de saint Martin (316-397) fut consignée dans la « Vita Martini » écrite en 395 par un de ses disciples, le moine Sulpice Sévère.Natif d’une province romaine d’Europe centrale, Martin servit la garde impériale, avant de suivre sa vocation chrétienne qui le mena auprès d’Hilaire, évêque de Potiers. Près de là, à Ligugé, il établit la première communauté cénobitique des Gaules. Puis il fut nommé évêque de Tours, contre son gré, en 370 et fonda le monastère de Marmoutier. Tours, où il fut inhumé, devint dès le 5ème siècle l’un des principaux pèlerinages de la Chrétienté.

La moindre chapelle se rattache étymologiquement à saint Martin et à sa cape (chape) partagée : la « capella ».

Le geste de Martin, encore soldat romain, a traversé l’histoire et heurté les consciences. Martin, converti, fut homme de prière et de fraternité. Regardant un pauvre, un mendiant croupi près d’une porte de la ville d’Amiens, Martin coupe son manteau de soldat en deux pour couvrir le hère frigorifié.

On a beaucoup épilogué sur le sens de ce partage ; Martin n’aurait donné que la part, le pan, dont il était propriétaire, l’autre morceau étant propriété de l’armée. Quoiqu’il en soit, cet acte prophétique nous rappelle que le frère abîmé attend de nous une part de nous, cette moitié à donner, ce qui nous appartient et que l’on peut échanger entre frères et sœurs et particulièrement avec les plus petits.

Cependant il nous faut garder non pas notre « trésor » bancaire ou je ne sais quel capital, mais ce que nous avons reçu et qui nous est vital et qui nous permet de vivre : les acquis de l’éducation en famille et de l’amour reçu, l’école, la paix sociale, les biens primaires, les soins de santé, certaines œuvres culturelles et de beauté, la nature et le tissu ecclésial poursuivi depuis les apôtres ; tout cela et bien plus est donné ; nous n’en sommes pas propriétaires ; tout cela peut nous aider à VRAIMENT partager en reconnaissant que la vie est échange de DONS, réciprocité.

Tous les chemins d’accès à une vie véritable et dotée d’épanouissement ne nous appartiennent pas. On ne peut donner que ce que l’on construit, que ce que l’on crée, que ce que l’on favorise, que l’amour que l’on fait. Mais les matières premières, il convient non pas de les stocker, mais de les faire fructifier. Une parabole de l’évangile nous dit la même chose avec les Talents : ne pas enfouir mais vivifier. Le partage engendre en nous dynamique de fraternité à condition de ne donner que ce qui nous est propre, d’éviter les largesses qui ne « coûtent » rien. En donnant, Martin se donne. Ce qu’il garde n’est pas à lui. C’est la vie confiée. C’est la vie rendue.

Il ne faut jamais donner ce que l’on reçoit. Il faut rendre tout le reste. Créons la mode des mi-manteaux et des chapelles de partage.

Philippe Moline.